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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 15:16

                                              http://www.cyberpresse.ca/images/bizphotos/435x290/201010/15/207727-mad-men.jpg

 

 

 

          Un an et demi après le sublime dénouement de sa quatrième saison, Mad Men fait enfin son retour sur les écrans de nos chers compatriotes outre atlantique. L’occasion de revenir sur une série qui n’a eu cesse de redéfinir la construction du rêve américain, au travers d’une agence de publicité de Madison Avenue au tout début des années 60.

 

*

          Mad Men, c’est avant tout une histoire de grands enfants, de leurs scotchs, leurs costumes et leurs femmes, à qui l’on aurait offert un immense cadeau, et qui se seraient rendu compte trop tard qu’il n’y avait rien sous l’emballage. Et, à la façon d’une tragédie, la série nous montre la façon dont ils tenteront par tous les moyens de s’accrocher à cette promesse devenue pure illusion. Et d’en faire une réalité. L’agence de publicité devient une véritable propagande de rêve, symbolisant ce qui a toujours été à la base de l’Amérique et de son mythe.

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          Chassez le rêve américain, il reviendra au galop. Avec son grand chapeau de cow-boy et ses cigarettes.

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          C’est peut-être de ce rêve dont parle Mad Men. Eternel retour vers l’enfance, son innocence et ses espoirs. Dans la saison 4, Don Draper est récompensé pour une publicité représentant un enfant et son chapeau de cow-boy. Dans la saison 1, il dira à une de ses nombreuses conquêtes que l’amour a été inventé par des gens comme lui pour vendre des bas en nylon. Il y a dans la série ce thème récurrent de l’enfant, à qui on aurait permis de créer de toute pièce un monde où il pourrait vivre à sa guise.

 

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          Mais le rêve ne peut exister sans la réalité. Derrière l’artifice et l’apparence, se cache un monde que l’on n’aurait pas forcément envie de voir. Et les personnages de Mad Men ont tous ce désir de rester bien au chaud au fond de la caverne de Platon, jusqu’à ne même plus apercevoir la lumière du jour. A la fin de la saison 3, John Kennedy se fait assassiner. James Ellroy dira de cet événement qu’il marque la perte de l’innocence de l’Amérique. Et la saison 4 explore cette nouvelle branche qu’empruntera le pays dans les années 60 face à l’idylle commerciale, et l’American Way of life qui tend à montrer pour la première fois ses limites : la politique, et notamment la lutte pour les droits des noirs. La réalité est comme un coup de poing, comme un réveil au sortir d’un beau rêve. Et si les Mad Men n’en prennent pas encore conscience (ce sera peut-être l’enjeu de la saison 5), c’est par l’intermédiaire du personnage de Peggy que la série dépeint ce nouveau mode de pensée. Et ainsi poser une question plus générale : existe-il une morale dans le rêve ? Vraisemblablement non.

 

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          Une des grandes attractions de la série est la confrontation symbolique entre le personnage de Peggy et le personnage de Joan. Peggy, au départ présentée comme fragile et hésitante, est une jeune femme en quête d’identité. Son audace, mêlée à une certaine naïveté, la conduira à grimper l’échelle sociale passant de simple secrétaire à responsable de la branche créative de l’agence. Face à elle, Joan, la secrétaire en chef à l’allure et à la beauté resplendissante, se montre en femme forte et indépendante au cœur d’un monde où les décisions sont prises par des hommes plus machos les uns que les autres, mais qui au final finira par devenir malheureuse, obligée de vivre selon les codes dictées par une société américaine patriarcale. Ces confrontations, nombreuses dans Mad Men, se jouent toujours sur le mode du non-dit ; faisant ainsi ressortir l'incapacité pour ses personnages à s'assumer ; assumer leur identité, leur peur, leur angoisse ; préférant garder un semblant de dignité, quitte à devoir mentir et véritablement vivre cacher des autres et de la société.

 

*

          A y regarder plus en profondeur, le problème de Mad Men est un problème de cinéma. Le problème du rêve et de la réalité. Là où existe un monde triste, dur et fade, le cinéma possède ce pouvoir de nous enfermer dans une caverne obscure et de nous proposer une image de la vie plus vraie, ou du moins plus belle, que celle existente.Et Mad Men est ainsi construit autour de ce code du cinéma américain où il s’agit non pas de décrire le monde tel qu’il est, mais tel qu’il devrait être. Le travail sur le faux, que ce soit dans Mad Men ou dans la plupart des grands films classiques américains, est travaillé avec cette optique de le rendre visible plutôt que de le cacher. Chaque plan de la série parait être fabriqué à l’excès dans le soin du kitch et dans le kitch du soin. Symbole d’une société continuant sans cesse dans ce culte de la forme. Régis Debray parlait d’un passage d’une « image chose » à une « image perception ». La publicité est perçue, et non pensée. C'est une façon de croire à la maitrise, alors que l'on ne fait que subir ces images.

 

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          Le cinéma, ou ici la série télévisée, est un véritable acteur de la transformation du monde. La publicité aussi. Mad Men traite d’une création sans cesse renouvelée, d’un besoin et d’un désir dont ses concepteurs finiront par être pris dans leur propre piège. Spinoza faisait la distinction entre la fiction, que l’esprit fabrique, et l’illusion, que l’esprit subit. Mad Men raconte l’histoire d’une fiction à laquelle ses acteurs auraient cru si fort qu’elle se serait transformée en illusion. Le symbole du passage est très présent tout au long de la série.

 

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          Mad Men c’est aussi la déconstruction d’un homme d’ombre. De la matérialisation d’un fantôme. Mad Men est moins un portrait de Don Draper que la construction de son portrait. Une sorte de récit initiatique à l’envers, où un homme se déconstruit pour mieux réfléchir sur ce qu’il sait et surtout ce qu’il croit. Don Draper est le symbole du nihilisme moderne, dont parlait Nietzsche. Si la morale n’existe plus, où ira-t-on chercher notre raison de vivre ? Le philosophe répondait notamment par l’art, et on voit ce rapport ambigu qu’entretiennent les Mad Men avec l’art (la scène face au tableau de Rothko dans la saison 2 notamment). L’art aura peut-être son importance dans le dénouement de la série.

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27 février 2012 1 27 /02 /février /2012 22:45

http://www.bienpublic.com/fr/images/B39FE463-FB56-4858-A745-1C4DE7375C87/LBP_03/la-taupe-est-le-premier-volet-de-la-celebre-trilogie-consacree-a-l-espion-george-smiley-(gary-oldman.jpg

 

             Un metteur en scène de cinéma est une sorte de Dieu un peu imparfait. Il lui est forcément donné, lors du processus d’élaboration de son film, de se poser la question de la création du monde. Le cinéma est d’abord une affaire de place, d’un endroit totalement artificiel, sans doute très proche du rêve, qu’un être humain que l’on appellera cinéaste aura offert à un autre être humain appelé spectateur. Il lui aura proposé d’y vivre, quelques temps, avec lui, et aussi avec d’autres personnes. Lynch avait trouvé une très belle réponse à la question : Pourquoi filmez-vous ? « Pour fabriquer des mondes et voir comment ils fonctionnent ». J’aime cette idée d’une existence propre au film, qui échapperait des mains mêmes de son concepteur.

           

            Il semble que Thomas Alfredson ait conçu La Taupe comme une sorte d’opéra, comme un ballet géant, où il pourrait prendre un malin plaisir à observer ses personnages danser au grès des notes de musique.  Il y a dans le film une extrême décence à l’égard de la dramaturgie, travaillée totalement en surface et qui finira par exploser dans une scène finale d’une éblouissante portée émotionnelle. Cette technique, très utilisée au théâtre, sonne au cinéma comme merveilleusement fausse. La Taupe est ainsi pensée comme une grande fable tragique, au mécanisme si bien huilé qu’il apparaitrait presque comme artificiel. Mais c’est précisément de cet artifice que se joue Alfredson durant tout le film. Le cinéaste ne cherche jamais à casser les codes du film d’espionnage, mais plutôt à les faire ressentir, à les montrer au spectateur, à les mettre à nus, avec un sens du style si particulier, toujours en deux temps et parfois à la limite du second degré. Si bien que La Taupe se retrouve sans cesse bercée dans une tension invisible qui prend le spectateur à la gorge dès la sublime séquence d’introduction du film, pour ne plus la lâcher jusqu’au générique de fin.

 

            Ce jeu sur le vrai et le faux est l’enjeu dramatique central de La Taupe, qui renvoie évidement à cette histoire d’espionnage et de contre-espionnage où la vérité n’est jamais là où on la cherche. L’intrigue du film est écrite comme l’on monte une pyramide avec un jeu de carte qui menace de s’écrouler à tout moment. D’abord, il y a la façade. L’époque, le contexte et le lieu du film (la Guerre Froide en Angleterre) et sa splendide retranscription, confèrent au film une atmosphère à la fois élégante et terriblement troublante, créant une ambiance assez malsaine. Ce serait comme si tout le monde était conscient d’un mensonge, mais que personne ne le disait.

           

            Et Alfredson est un véritable penseur de l'image. Il faut voir avec quelle attention et quelle délicatesse il s'évertue à chercher l'espace en trop, la ligne de fuite qui dérange, le bout de corps qui dépasse, afin d'installer son spectateur dans une atmosphère de mal être et de paranoïa constante, et ce, sans jamais délaisser une esthétique à la beauté époustouflante. On croirait voir certains films noirs de Lang, et son organisation de la mise en scène, conjugués à l’élégance des mouvements de caméra d’Altman et son utilisation de la focale. Car il y a aussi une façon pour Alfredson de revisiter une certaine idée du cinéma: c’est-à-dire la vision d’un monde dans lequel on aurait bien voulu vivre, mais dont on se serait rendu compte trop tôt qu’il n’existait pas. Ressurgit alors cette séquence magnifique où Smiley, interprété par un Oldman totalement habité, rejoue une scène entre lui et Karla sous le regard médusé de Guillam. Il se redresse de sa chaise et commence son histoire. Le caméra pivote et montre une chaine vide en face de lui. Mais il parle pourtant à Karla, qu’il voit assis sur cette chaise. La caméra ne filme plus que son visage, et la lueur irréelle qui se reflète sur les verres de ses montures. Cette scène pourrait symboliser à elle seule le tour de magie incroyable du film, mais également la promesse du cinéma. De sa capacité qu’il aura à faire vivre et revivre encore et encore ces fantômes, et de nous promettre que tout cela est vrai, et qu’il est encore trop tôt pour nous dire la vérité. 

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22 février 2012 3 22 /02 /février /2012 15:58

http://resources0.news.com.au/images/2012/01/06/1226238/351312-the-descendants.jpg

       

 

           En sortant de The Descendants, dernier nouveau-né d'Alexandre Payne déjà favori pour les oscars, je me suis surpris à vérifier si le film était bel et bien indépendant. Comme un symbole. Vingt ans après, il semble que le gros poisson que fut la révolution indie des années 90 commence à percevoir le bout de sa queue. La question est de savoir s'il finira par la mordre. Etaient de la partie des cinéastes comme Tarantino, Jarmusch, Soderbergh, Paul Thomas Anderson pour ne citer que les meilleurs – avec comme rampe de lancement la création du festival de Sundance par Robert Redford récompensant les meilleurs films américains indépendants. Ils avaient cette idée, héritée du Nouvelle Hollywood des années 70, de réaliser des films sans passer par la case studio et sans toucher les vingt mille francs. Certaines perles rares subsistent (le très beau Winter Bones sorti l'année dernière) mais globalement le cinéma indépendant américain semble être tombé dans ce qu'il a au départ essayé de combattre, c'est à dire les codes préétablis, et l'absence de cinéma réellement singulier et personnel. Je pense comprendre ce que ressentait Truffaut envers le cinéma français des années 50, dont je reprends l’expression.

 

     The Descendants est l’emblème de ce syndrome des films indépendants qui se revendiquent comme originaux, pour au final présenter un cadavre totalement préconçu. Pourtant le film avait des choses pour plaire. Le sujet difficile (la femme de Clooney est entre la vie et la mort) laisse place à une intrigue teintée de cynisme (le beau George part à la recherche de l'homme qui le faisait cocu) plutôt bien écrite. On aurait pu penser à Altman et sa revisite de la jolie vitrine américaine qui cache tant bien que mal ses vieilles casseroles. Malheureusement on redescend vite sur terre après s'être rendu compte que le film penchait beaucoup plus vers l'éternel discours de la deuxième chance où le père va chercher à renouer les liens familiaux avec ses deux filles. Le plan final est d'ailleurs un cliché absolument parfait de ce que le cinéma américain a de plus conventionnel aujourd'hui : un père sur son canapé, rapidement rejoint par ses deux filles. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Une hérésie quand on pense aux chefs d'œuvres de subversion que nous ont offert certains films indépendants. Payne enrobe sa rose là où il eut fallu laisser les épines. Il joue du cynisme par à-coup là où il eut fallu en faire son principal fil conducteur (il n'y a aujourd'hui que les frères Coen qui peuvent tenir le cynisme du début jusqu'à la fin d’un film). Le cinéaste passe malheureusement par tous les passages obligés du genre, et qui plus est très mal, avec un jeu sur l’émotion très premier degré dont on se serait bien passé. Et la mise en scène se révèle être à l’image de l’ambivalence du film. Toujours hésitante, entre un désir de singularité et un académisme nauséabond. Au final la bouillie ne prend pas. Mais il parait que les oscars aiment ce genre de potage.

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28 janvier 2012 6 28 /01 /janvier /2012 14:08

       

       

        http://www.vodkaster.com/var/vodkaster/storage/images/media/images/generique-millenium/25203007-1-fre-FR/generique-millenium_scaledown_450.jpg

 

       Je pense que vous êtes arrivé à un stade de votre carrière où la question de votre place dans le cinéma se pose. Grand enfant du clip et de la télévision, vous avez su, dès vos premiers films, imposer cette nouvelle esthétique de l’image - qui prit véritablement son envol dans les années 2000. Je suis convaincu que vous resterez comme l’un des metteurs en scène qui fit basculer le cinéma dans une nouvelle génération, notamment grâce à Fight Club, film décrié à sa sortie, mais qui s’impose avec le temps comme une véritable pierre angulaire dans le cinéma américain. Vous vous êtes, certes, perdu une ou deux fois en cours de route (je pense à l’assez inutile The Game, et au frimeur Panic Room), mais vous avez toujours su retomber sur vos pattes. C’est Zodiacqui, il me semble, restera comme l’œuvre de votre maturité. Une façon de dire adieu à votre image de branleur surdoué, en livrant un film tout à fait étonnant, là où absolument personne ne vous attendait. C’est à partir de là que vous vous êtes réellement installé dans le paysage cinématographique comme un grand raconteur d’histoire et un faiseur d’image talentueux. Pour la première fois, les critiques autant que les spectateurs pouvaient dire qu’ils attendaient avec impatience (plus que par curiosité) le prochain film de David Fincher. Suivirent deux pépites, L’Etrange Histoire de Benjamin Button, votre grand film de conteur, et The Social Network, symbole d’un passage de relai des mains d’une génération à une autre, que l’on peut voir aujourd’hui comme le penchant adulte de Fight Club.

               

       Il est ainsi difficile, au regard de votre œuvre, de mettre en évidence une thématique précise. Vous paraissez en fait faire partie d’une nouvelle famille de cinéaste (mettons dans le panier Boyle, Aronofsky, Soderbergh et bien d’autres encore) dont l’esthétique semble être directement associée à une vision du monde. Et dont le metteur en scène prend une place majeure. On remarque au travers de vos films une volonté de placer l’homme face à la société, ou plutôt l’homme dans la société, et de poser la question de la liberté. Jusqu’où la société permet-elle à l’homme d’aller. Quelle est la part de maitrise de l’homme et quelle est sa part de soumission. C’est pourquoi vous vous rapprochez, il me semble, d’un cinéaste comme Kubrick, qui s’intéressait à l’avenir de l’homme face à la machine. Et il s’agit peut-être d’une façon pour vous, David Fincher, de vous mettre en scène, et de questionner le degré de maitrise de l’individu (le cinéaste) sur la machine (le cinéma).

               

       Mais j’avoue que vous m’avez surpris. Alors que je pensais vous avoir bien cerné, vous avez encore une fois voulu jouer les troubles fête en réadaptant (certains parleront de remake) le thriller à suspense de l’écrivain Stieg Larsson Millenium. Peut-être qu’au départ, c’est vrai, le sujet vous allait bien. Car avant d’être un polar, Millenium parle d’une rencontre, apparemment improbable, entre un journaliste d’un certain âge, et une jeune fille qui semble vivre totalement en marge de la société. Je comprends bien qu’il s’agit là pour vous d’une façon de parler d’une rencontre entre deux générations et d’interroger sur la norme, tout en revenant au thriller gothique qui vous avait si bien réussi avec Seven. Après un générique d’une violence et d’une fureur dévastatrice, je sentais que quelque chose clochait. Votre mise en scène était bien là: perfection du plan, maitrise totale du rythme, photographie splendide. Pourtant la mayonnaise ne semblait pas tourner comme il fallait, et votre film s’annonçait de plus en plus comme une fausse bonne idée. La faute, sans doute, à une intrigue que vous n’arrivez jamais à véritablement adapter à l’écran. L’enquête se joue sur des petits riens, des photographies, des informations perdues dans des archives, des noms imprononçables. Si bien que le spectateur ne se sent jamais véritablement concerné, et c’est avec une tristesse vraiment sincère que je constate votre incapacité à réellement s’affranchir de cette intrigue. Excepté à la toute fin où vous vous intéressez à ce qui aurait dû être le véritable sujet du film, c’est-à-dire la relation entre vos deux personnages – qui s’avèrent au final être très sous exploités.

               

       Malgré ce relatif faux pas, je ne désespère pas. Au contraire, je sens une véritable montée en puissance dans votre esthétique, film après film. Je possède une confiance, peut être aveugle, envers votre cinéma ; et j’avoue placer en vous l’espoir, sans doute totalement utopique, de voir naître un vrai chef d’œuvre qui marquerait, par son esthétique et son parti pris unique, un tournant dans l’histoire du cinéma.

               

       En vous souhaitant bonne continuation !

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23 janvier 2012 1 23 /01 /janvier /2012 21:58


http://2.bp.blogspot.com/-tm6IMPs8mY8/Twml5gWnSFI/AAAAAAAADHw/ZKcV-CsssJk/s1600/j-edgar-628.jpg

 

       J. Edgar raconte l'histoire d'un regard. Celui d'un vieux monsieur, un peu trop grognon pour être tout à fait sympathique, sur la vie qu'il vient de mener. Pas n'importe quelle vie. Celle d'un homme qui fut sans doute l'un des plus grands artisans du mythe américain moderne. Cet homme s'appelle Clint Eastwood. Et il était un temps où il fut réalisateur et acteur de cinéma. Plutôt très bon d'ailleurs, avec toujours ce désir qu'il avait de réinscrire dans le cinéma américain une forme classique presque perdue. 

 

       Dans J. Edgar, il semble qu'Eastwood cherche un autoportrait. Le film est construit comme une tragédie, où le héros évoque ses heures et ses erreurs de gloire à la veille de sa mort. On y sent une volonté d'explorer la vie d'un homme, afin de mettre en lumière la complexité d'une identité. On pense au Citizen Kane de Welles, et à sa philosophie de l'enfance. Leonardo DiCaprio, acteur d'exception, ressemble d'ailleurs étrangement au vieillard Kane, et son jeu fait exploser une palette d'émotion impressionnante.

 

       N'y allons pas par quatre chemins, de peur de se perdre en cours de route. J. Edgar est une déception. Pas une déception lourde, violente ou amère. Non, juste une déception, un peu triste. Ce qui aurait pu être un monument s'avère plus ressembler à une vielle cabane perdue au fond du jardin, que le vieux cinéphile fatigué se plaira de contempler d'un oeil nostalgique. Eastwood veut absolument tout filmer, comme si le temps lui manquait. Là où le réalisateur rayonne dans la simplicité de l'écriture, il finit par ne filmer qu'une ombre dans la recherche d'une complexité dramatique. Traverser l'histoire américaine du vingtième siècle n'est certainement pas chose évidente, et là où un réalisateur comme Martin Scorsese adapte son personnage au sujet (le Howard Hugues d'Aviator, un cas d'école), Eastwood cherche dans J. Edgar une multitude de lectures. Et à force de vouloir montrer beaucoup, l'image se floute et le spectateur finit par ne plus y voir grand-chose. Au final, que reste-t-il de J. Egdar ? Peut-être une certaine émotion qui arrive lentement, langoureusement vers la fin du film, où l'on assiste avec une certaine tristesse à un personnage et un réalisateur cherchant du temps qu'ils ne retrouveront sans doute pas. C'est avec les choses les plus simples que des si grands cinéastes comme Eastwood arrivent à faire de telles merveilles. Le temps, l'amour, la mort. 

 

       Le film était parti avec des ambitions d'une folie presque démesurée, mais lors de l'arrivée du générique, tout semble s'être réduit en poussière. Mais je ne vous en veux pas autant que ça, Monsieur Eastwood, car l'exercice aura de toute manière été profitable. 

 

 

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26 décembre 2011 1 26 /12 /décembre /2011 01:30

La drogue c'est mal. Du coup je m'étais promis d'arrêter mes classements, tops, et autres listes. Mais à vrai dire, j'ai réçu tellement de mails et de coups de téléphone de gens qui me demandaient où était donc passé mon classement des meilleurs films de l'année que j'ai finalement décidé de m'y mettre.

 

10/ Il était une fois en Anatolie, Nuri Bilge Ceylan

Une grande fresque initiatique et métaphysique à l'esthétique magnifique. Beaucoup de ique, mais pas de toc.

 

9/ Restless, Gus Van Sant

Après un petit détour à la case biopic, Gus Van Sant revient à ce qu'il sait faire de mieux : le film sur l'adolescence. Une oeuvre d'une force émotionnelle rare.

 

8/ Easy Money, Daniel Espinosa

La grosse surprise de l'année. Une bombe atomique, un voyage féroce, violent, dans le monde crépusculaire de la mafia, dont on sort comme d'un cauchemar.

 

7/ La Guerre est déclarée, Valerie Donzelli

Donzelli filme son histoire personnelle avec une grâce éclatante, mélangeant plusieurs registres à la perfection. Un film qui fait passer du rire aux larmes en une seconde.

 

6/ Pater, Alain Cavalier

OCNI. Objet Cinématographique Non Identifié. Le film le plus original, incongru, de l'année, de la décennie, du siècle, du millenaire.

 

5/ Le Havre, Aki Kaurismaki

Grande oeuvre humaniste, filmée et racontée comme une fable. Le film le plus drôle de l'année.

 

4/ Le Cheval de Turin, Bela Tarr

"Et dehors le vent soufflait à faire tomber les âmes perdues". Voici une tentative pour résumer un film inracontable. Bela Tarr filme l'être humain confronté à la vie et la mort dans un fabuleux orchestre de beauté avec des éclats de mise en scène comme on n'en voit jamais au cinéma.

 

3/ Shame, Steve McQueen

Un film d'une maitrise formelle hors du commun, qui rejoint Hunger, le premier film du cinéaste, dans la manière d'appréhender le corps d'un personnage qui tourne sans cesse autour de la rutpure.

 

2/ Tree of life, Terrence Malick

Terrence Malick filme avec une grâce majestueuse la vie au travers du regard de l'enfant. A coup sûr l'un des plus beaux films du monde.

 

1/ Somewhere, Sofia Coppol... nan je déconne !

 

1/ Une Séparation, Asghar Farhadi

Un chef d'oeuvre. Purement et simplement. D'une telle maitrise, d'une telle force, dans le scénario, la mise en scène, le jeu des acteurs qu'il serait totalement vain d'en écrire une seule ligne. Regardez, et admirez.

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 21:15

                                                               http://www.candidatarien.com/wp-content/uploads/2011/10/drive-gosling-hallway-full.jpg

Drive (2011), réalisé par Nicolas Wining Refn

 

     Il y a généralement dans la carrière d’un cinéaste, et plus globalement d’un artiste, une œuvre charnière qui le fait passer au stade de la maturité. C’est précisément le cas de Drive, le tout nouveau film du prodige danois Nicolas Winding Refn.

     Refn (à prononcer comme bon vous semblera) possède un parcours assez atypique, mais non moins constant dans son approche thématique et formelle (bien que nous verrons sur ce dernier point certaines divergences). D’abord il y a Pusher – sorte de descente aux enfers scorsesienne dans la mafia danoise. Premier film, premier coup de poing assené en plein dans le ventre, qui sera suivi par deux autres uppercuts avec Pusher 2 et 3, réalisés quelques années après. Avec trois chef d’œuvres et une poignée d’applaudissement en poche, Refn file en Grande Bretagne et décide de réaliser deux films beaucoup plus radicaux visuellement, Bronson et Valhalla Rising  – mais toujours avec cette même approche de la violence, très crue et réaliste, qu’il filme comme une incarnation de la volonté humaine. Bien que de véritables coup de maitre de mise en scène, les deux films pêchent par leur approche presque expérimentale, délaissant une certaine substance et surtout une émotion. On aurait pu alors craindre un (mauvais) virage pris dans la carrière de ce surdoué de l’image, qui privilégierai alors totalement la forme au fond. Une sorte de syndrome Coppola, beaucoup de talent pour au final pas grand-chose. 

     Pour son premier film outre-atlantique, Refn choisit de rendre hommage à tout un pan de la culture américaine des 80’s, à savoir la grosse industrie bodybuildée, le film de bagnole, la série b tarte à la crème et mandarine, qui a vu naitre des noms comme Arnold Schwarzenegger, John McTiernan ou encore Paul Verhoeven. L’intelligence de Refn est ici de détourner tous les codes d’un genre devenu aujourd’hui bien moins fun qu’autrefois, de se les approprier afin de créer sa propre sauce. Cela nous donne avec Drive un film assez étrange, où Refn a enlevé de la soupe quelques croutons pour y ajouter des légumes (c’est meilleur pour la santé), qui joue sur une sorte de dualité entre sa première et sa deuxième partie.

     Drive, c’est l’histoire d’une sorte de Docteur Jekyll et Mr Hyde, garagiste le jour et chauffeur pour gangster la nuit. Sa vie va prendre un tournant tout à fait étonnant à la suite de sa rencontre avec sa très jolie voisine de palier. La première partie du film est l’histoire de cette rencontre. Refn projette à l’écran un monde totalement irréel, incarné au possible, à l’image de son héros – véritable romantique désabusé qui vit en marge de la société de par son côté idéaliste. Image clipesque, ralenti, musique ; cette sur esthétisation renvoie ainsi à cette plénitude amoureuse que Refn brise d’un coup d’un seul au milieu du film. Le mari de la voisine sort de prison, et notre Driver se retrouve mêlé à une sombre affaire de mafia. Refn rompe alors avec sa mise en scène, pour revenir au cinéma plus réaliste et violent de Pusher. La gueule d’ange de Ryan Gosling qui envahissait l’écran se retrouve à partager l’affiche avec une galerie de visages délabrés. On retrouve notamment Ron Perlman, célèbre pour son rôle dans Le Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud ou encore Bryan Cranston le père de famille cancéreux de Breaking Bad ; et même la sublime Christina Hendricks arrive à être laide et vulgaire. On regrettera l’absence du génial Mads Mikkelsen, pourtant acteur fétiche de Refn. Drive est ainsi une sorte d’hybridation entre les deux visions du cinéma de Nicolas Winding Refn : l’incarnation et la désincarnation, qui semble ici cependant un peu poussive. 

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 19:47

http://www.critique-film.fr/wp-content/uploads/2011/10/shame-600x334.jpg

Il est toujours compliqué pour un réalisateur de confirmer l'attente placée en lui après un bon premier film. Alors imaginez un peu la difficulté pour Steve McQueen, qui avait signé avec Hunger une première oeuvre, un premier coup de poing d'une force impressionnante dôté d'une mise en scène qui incarnait la violence du sujet (la grève de la faim de Bobby Sand en prison) mêlant fureur et envolés lyriques. Son nouveau film, Shame, toujours avec l'impressionnant Michael Fassbender, traite d'un sujet faussement éloigné : l'addiction sexuelle. Il permet en fait à McQueen de travailler sur le même matériau que lors de son premier film : le corps. On retrouve donc ici une thématique cher à un cinéaste comme Cronenberg. A la différence que le réalisateur canadien aime travailer le corps comme un mirroir de l'âme, alors que chez Steve McQueen il s'agit plutôt d'une barrière. Le film joue ainsi sur la volonté de s'affranchir de son corps (ou au contraire de son esprit ?) qui empêche le personnage de s'épanouir.

Le film est ainsi construit comme un antagonisme. Brandon vit à New-York, possède un travail prospère, une belle maison, mais vit seul. Il est régulièrement confronté à son désir maladif de sexe. Sa jouissance matérielle fait opposition à sa barrière mentale. L'enjeu de Steve McQueen est de filmer cette barrière invisible. Et il le fait admirablement bien, avec cette recherche constante de l'ambiguité dans les rapports humains - notamment grâce aux longs plan séquences qui font ressentir le malaise du personnage lors de ses relations, soit avec sa soeur, soit avec une femme qui travaille avec lui et dont il tente d'entamer une relation amoureuse - sans succès. Et au contraire, lors de ses rapports sexuels avec des prostitués, la mise en scène devient beaucoup rythmée, comme si le personnage était ainsi dans son élément. 

L'enjeu du personnage sera pour Steve McQueen comme un enjeu cinématographique : parvenir à faire évoluer cette mise en scène. Le film est une tentative du personnage de se libérer de ce diabolique antagonisme mental et corporel, et le sujet du film s'eclipse alors pour tendre à une problématique beaucoup plus universel : la notion du sacrifice vers l'accession à la liberté (sacrifice corporelle et mentale), qui revenait constamment dans Hunger. 

Shame se trouve donc totalement dans la continuité de Hunger, et confirme le grand talent de Steve McQueen, déjà un cinéaste immense après deux films, pour filmer cette opposition corps/esprit grâce à une mise scène d'une violence virtuose.

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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 18:50

 

The Company Men, réalisé par John Wells

 

http://www.newkidsonthegeek.com/wp-content/uploads/2011/03/ben-affleck-company-men.jpgLes américains possèdent un certain talent quand il s’agit de parler de leur propre histoire.  Construite autour d’une mythologie en perpétuelle évolution, entre rêve et cauchemar, l’Amérique a vu naitre, depuis la contre culture des années 60 et 70, de plus en plus d’artistes capables de montrer le revers d’une médaille que le monde a longtemps cru étincelante. 

 

Tout un symbole : le scripte de The Company Men fut écrit dans les années 90, soit près de 20 ans avant sa réalisation. Car si le sujet semble brulant d’actualité (une société est contrainte de licencier la majorité de ses employés à cause d’une grave crise, qu’on imagine être celle de 2008), sa date d’écriture révèle bien de son intemporalité. Comme une peur inconsciente de la fragilité du rêve américain.

 

Mais ce à quoi on pourrait s’attendre (c’est-à-dire une véritable critique du capitalisme et de l’«american way of life») tourne vite court. Si au départ le script décrit plutôt bien la chute d’un ex-cadre d’entreprise, symbole de la réussite américaine, obligé de se reconvertir en tant qu’ouvrier pour boucler ses fins de mois , sa mise en image n’est pas assez palpable pour le spectateur - la faute à une mise en scène beaucoup trop «à l’américaine» justement et édulcorée. Le parti pris formel de John Wells s’avère alors en contradiction avec le fond du film. 

 

Au final, l’idée de départ, fortement louable, est ternie par une esthétique beaucoup trop gentille et lisse - ainsi qu’un dénouement où la morale se résume à : «il ne faut pas désespérer, le rêve américain est toujours accessible à ceux qui y croient». Une vraie déception pour un film qui avait tout pour dénoncer, ou du moins montrer une certaine image de l’Amérique - et qui finalement ne fait que la contourner. The Company Men prouve donc une nouvelle fois la difficulté d’un pays à aller jusqu’au bout de sa propre critique (voire la chronique «place aux paillettes»). 

Un film qui choisit d’être lisse, alors qu’il aurait du être rugueux.

 

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 21:02

Fighter, réalisé par David O. Russel

http://image.toutlecine.com/photos/t/h/e/the-fighter-the-fighter-09-03-2011-4-g.jpgIl est intéressant de constater à quel point les films sur le sport sont rares dans l'histoire du cinéma (dont les quelques exceptions sont loin d'être inoubliables). Excepté pour un : la boxe. Le cinéma américain a en effet été traversé par de grands films sur la boxe, symbole de la réussite individuelle , traitant de thèmes comme la déchéance (Raging Bull), le rêve américain (Rocky) ou encore la figure du héros (Ali) mais toujours autour d'une notion commune : l'Amérique et sa mythologie.

Fighter est tiré d'une histoire vraie, celle de Micky Wars champion du monde, comme pour mieux démythifier la légende et la redescendre vers le commun des mortels afin de dresser un portrait de l'Amérique, où la gloire serait accessible à tous.

D'un côté il y a le héros (Mark Wahlberg, souvent à la ramasse mais ici magnétique et brillant), de l'autre, son frère ancienne gloire aujourd'hui toxicomane (Christian Bale, incroyable en caméléon), entre modèle et mauvais gourou. Fighter se résume à une affaire de morale et de choix que tout individu doit un jour faire - ici l'affranchissement de la famille pour entrer dans le droit chemin. Et si la conclusion du film parait un peu facile (la redemption l'emporte, encore et toujours) Fighter fait preuve d'une puissance émotionnelle remarquable et surtout d'un scénario très habile - toujours en phase avec ses enjeux et au rythme effréné, d'autant que la mise en scène bien que discrète se revèle très astucieuse quand il s'agit de filmer un affrontement entre les corps (sur le ring ou en dehors). Une vraie histoire américaine.

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