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18 décembre 2012 2 18 /12 /décembre /2012 23:53

http://unesemaine-unchapitre.com/public/.betes_du_sud_sauvage_pere_m.jpg

 

                Un premier film, c’est un peu comme un nouveau-né. On le regarde d’un œil curieux, attentif, pour voir la couleur de la peau, des yeux, des cheveux, on le soupèse, d’une main, en se demandant ce qu’il deviendra plus tard, s’il préférera le chocolat à la fraise, les filles aux garçons, ou le travelling au zoom. Au fond, il est même plus facile de juger un premier film après avoir vu les suivants, et comprendre ainsi la façon dont le réalisateur a su faire murir son style au cours de son éducation. On entend même souvent dire qu’il faut être bienveillant  avec les premiers films, que les défauts sont encore des erreurs de jeunesse et que la pluie laissera place au beau temps. Certes. Choyons nos petits enfants de peur qu’ils finissent à la rue. Ainsi, l’on préféra dire « bon premier film » que « bon film ». C’est l’intention qui compte. Et puis, parfois, il arrive aussi qu’un premier film possède une telle force, et une telle singularité dans le style qu’on en oublie sa fragilité de nouveau-né. Les bêtes du sud sauvage, caméra d’or à Cannes, et grand prix à Deauville, fait partie de ces raretés-là.

 

            Dès les premiers plans du film, un nom vient tout de suite à l’esprit : Malick. Sans toutefois remettre en cause le talent immense de Benh Zeitlin, l'influence du cinéaste est ici évidente, et même d’avantage, elle saute aux yeux. Déjà, le film se passe dans un milieu naturel, cher à Malick, et raconte la vie d’une communauté vivant dans le bayou, une étendue d’eau proche du Mississipi, qui va devoir faire face aux caprices de la nature, de la maladie, et des hommes. Plus exactement, le film se concentre sur la relation qu’entretiennent Hushpuppy, une fille de six ans, et son père, mourant. Comme chez Malick, une voix off d’enfant traverse le film, où émanent à la fois poésie et réflexion métaphysique, sur l’unité, et le rapport à la grandeur. La caméra se porte à l’épaule, et filme avec grâce et élégance ces Hommes s’aimer et se déchirer, avec en creux les liens qu’entretiennent leurs actes avec la nature.  

 

            La force de cette histoire tient peut-être de la naïveté de son traitement, qui, chez la plupart des cinéastes, aurait tourné à la mièvrerie. Mais pas chez Benh Zeitlin. Pourquoi ? Parce que le cinéaste est toujours à bonne distance de son sujet, et possède l’intelligence de rester, coûte que coûte, malgré les vents et les marées, derrière cette enfant, Hushpuppy et de garder son point de vue sur le monde. Et à la caméra de mettre en image et en mouvement le prisme de ce regard, déchiré entre la grandeur de la nature, la perte de l’innocence et la maladie de son père. Très peu de plan en plongée dans le film ; la mise en scène épouse la prunelle de l’enfant en créant un espace qui va du bas vers le haut. Le film est moins une quête initiatique qu’un véritable portrait. Et en cela, Benh Zeitlin peut se détacher de toute contrainte scénaristique qui l’obligerait à rester ancrer dans une narration classique. Au final, Les bêtes du sud sauvage est comme un grand élan, qui marche droit et le regard aux aguets, cherchant la poésie partout où il peut la trouver, parfois à bout de force, jusqu’à l’épuisement ; nous sommes constamment éblouis par cette audace à la fois formelle et narrative.

 

            Mais tant d’éloge ne trahissent elles pas aussi une certaine indulgence donnée à un film qui semble sur le point de s’écrouler à chaque seconde à force de laisser de l’énergie derrière lui? Peut-être. Car derrière cette grâce, se cache aussi une fragilité propre aux nouveaux nés. Il faudra bien faire attention à protéger ce joyaux, sous risque de lui lâcher les mains en pensant qu’il sait marcher. La chute n’est jamais loin, mais d’expérience, il est rare qu’un grand premier film n’ait pas donné de suite toute aussi satisfaisante. On croise les doigts bien forts.

 

 

http://www.sortiedusine.org/2012/12/19/les-betes-du-sud-sauvage-acte-de-naissance/

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