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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 02:55

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         Nous sommes en 1973. Vêtu d’un chapeau de cow-boy et d’une chemise à col cassé, Robert Altman a le sourire de l’homme satisfait. Bière à la main et joint au bec, il vient tout juste d’achever le montage de son dernier film, Le Privé. Il ne le sait sans doute pas, mais il a entre les mains le plus beau film de l’Histoire du cinéma américain. Il ne le sait sans doute pas non plus, mais pas moins de quarante ans plus tard, un autre surdoué du septième art lui rendra hommage. Son nom? Paul Thomas Anderson.

 

         Autant le dire tout de suite: Inherent Vice est un film incompréhensible. L’histoire semble pourtant tout droit sortie d’un roman de gare. Un détective privé au nom de Larry “Doc” Sportello enquête sur la disparition de son ex-petit amie et du milliardaire Mickey Wolfmann qui se serait fait la malle avec elle. Le reste? Allez savoir. L’intrigue déroule à la manière d’un tableau impressionniste – on attrape tant bien que mal des bribes d’information, ça et là. Et puis au bout de trois quart d’heure, le verdict tombe: on n’y comprendra rien. Et puis tant pis après tout.

 

         Tant pis, ou plutôt tant mieux. Si Inherent Vice s’évertue à ce point à vouloir égarer son spectateur, c’est qu’il est hanté par l’oeuvre de Raymond Chandler, et le fantôme de son détective, Philip Marlow. Chez Chandler, le roman noir se veut moins une enquête policière que le révélateur d’un monde souillé et corrompu. Dans Le Grand Sommeil, l’adaptation d’Howard Hawks, le spectateur est largué du début à la fin – mais qu’importe. Ce qui ressort du film, c’est l’étrange impression de conspiration. Mais davantage que Le Grand Sommeil, Inherent Vice est surtout une relecture absolument fascinante du Privé, d’Altman. Doc Sportello, c’est un peu Philip Marlow qui troquerait son costard cravate et ses marlboro pour une chemise hawaienne et un kilo de cannabis.

 

         Car comme chez Altman, Paul Thomas Anderson place l’intrigue au second plan. Le film avance à tatons, à travers une épaisse nappe de brouillard ; celle des vapeurs de weed que Doc fume à longueur de scènes, et des brumes matinales qui envahissent le port de Los Angeles – comme lors de cette splendide scène où réapparait à travers les ombres de la nuit un personnage qu’on avait laissé pour mort. On y retrouve là une obsession de la littérature de Chandler, présente aussi bien dans Le Grand Sommeil que dans Le Privé. Le rapport à la réalité, et la frontière si floue entre la vie et la mort.

 

         A l’instar du Privé, et peut être même davantage, Inherent Vice est un film sur le romantisme. Derrière l’apparent humour baroque du film, se cache en creux le portrait d’une Amérique où meurent les utopies. Ce n’est pas pour rien si Anderson situe le film à une période charnière de l’Histoire des Etat-Unis. On y retrouve l’idéalisme et la candeur propres à la philosophie hippie. Ce que révèle Inherent Vice, c’est une façon de regarder le monde les yeux grands fermés. Doc poursuit le rêve de Marlow, comme Anderson celui d’Altman : continuer à faire vivre les fantômes d’hier pour mieux éclairer ceux de demain. Et Inherent Vice illumine Le Privé à l’aune de près de quarante années d’Histoire. Car si Altman filme Marlow en spartiate moderne pris dans une époque où les illusions s’accrochent aux murs de Los Angeles comme des papillons à une ampoule, la vision de PTA est plus pessimiste. Chez lui, le rêve est seul fruit de son époque, et les jours à venir sont aussi noirs qu'une nuit sans étoiles. On sort de son film comme d’un lendemain de cuite : l’esprit embrumé et l’envie de se rendomir. Et si la dernière scène apparait comme un rayon de soleil d’automne, elle sert à donner au film sa dimension tragique. Eux, ne s’attendent pas à voir leur monde s’effondrer, il continuera à vivre à travers leurs rêves et une fois les lumières de la salle rallumées. Mais le spectateur, lui, sait que le fondu qui clot cette histoire est davantage une mort qu’un rideau qui se baisse. Toute la tristesse du film réside là. Et à l’image de cette pellicule, si chère à Paul Thomas Anderson,  aux odeurs de goudron défraichi et lumineuse comme un soleil couchant, Inherent Vice est un film tout en clair-obscure. A la fois trop maitrisé et foutraque, trop long et pas assez, fascinant et déconcertant, Inherent Vice est avant tout un grand sommeil dont on ne voudrait jamais se réveiller.

 

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