En 2001 survenaient deux événements majeurs qui marqueront à jamais l’Histoire de l’humanité. Le lancement sur la Fox de la série à suspense 24 heures, et, dans une moindre mesure, les attentats du 11 septembre. Lien de cause à effet sans doute, ou bien génie visionnaire, tant le show reflétait à merveille le spectre formé par les Etats Unis après l’attaque : paranoïa constante, méthodes fascisantes utilisées dans la traque aux terroristes, et renforcement excessif de la sécurité intérieure. Autant de thèmes visités, revisités, sur visités, souvent à l’excès, au cours des quand même huit saisons de la série. Si 24 heures fait figure de montagne russe niveau qualité (une cinquième saison aux petits oignons, avant un recyclage sans saveur des mêmes recettes), elle pose une empreinte indéniable sur l’avenir du petit écran. Mais aussi sur celui du grand. Car face à cette implacable machine à suspense, les scénaristes des blockbusters ont été obligés de se mettre à jour face à un média qui possédait une avance considérable sur le cinéma quand il s’agit d’installer des intrigues à tiroirs et autres rouages plus ou moins bien huilés.
Dieu merci, Howard Gordon en a eu assez (il était plus patient que nous le bougre) et a décidé de se pencher sur un nouveau projet. Surtout que face à l’histoire d’une Amérique sans cesse en mouvement, il est toujours plus intéressant pour un artiste de se placer au front plutôt que d’attendre que le cortège passe pour ramasser les débris. La proposition d’Homeland, qui s’inspire d’une série israélienne, s’inscrivait dans ce schéma de refaire surface face à une mode actuelle tendance retro (Boardwalk Empire, Games of throne, deux séries fantastiques par ailleurs). Résultat de la copie : 10/10, et passage en classe supérieure.
Si 24 heures est donc la série post-11 septembre par excellence, Homeland serait la série post-guerre en Irak. Ou comment un enlisement dans un conflit de dix ans n’aura permis qu’à faire monter un sentiment anti-américain exponentiel, et l’émergence d’un extrémisme radical au Moyen-Orient, mais également au sein même du pays. Notons au passage le caractère déjà visionnaire d’Homeland. Avec un mois de septembre sujet à une explosion de manifestations violentes envers l’Amérique, la réalité montre ce que la série annonçait il y a un an de cela. Très fort.
On a donc Brody, un soldat américain qui refait surface en Irak après avoir été emprisonné pendant huit ans par une branche d’Al Qu’Aïda. Son retour au pays le propulse au rang de héros national par tous. Ou pas si sûr. Une agente de la CIA, Carrie, apprend d’une source que Brody se serait retourné contre son pays à la solde des terroristes. Elle décide d’installer en toute illégalité un dispositif de caméra et de micro dans l’appartement du militaire, lui permettant de pouvoir l’espionner 24h/24. Sorte de Truman Show, ou de 1984, avec la paranoïa vis-à-vis du musulman. Amalgame crée en 2001 par George Bush et son « axe du mal ».
Ce qui distingue Homeland, et la place très haut dans les séries d’espionnage, c’est son rapport au genre. Bien loin de l’académisme et de l’utilisation abusive des codes, elle place sans cesse ses personnages devant l’intrigue ; et privilégie la psychologie au spectaculaire. La première saison se retient face à la tentation de la sur dramatisation, des rebondissements à outrance, qui sont toujours suivis de contre coup, de doute, de questionnement de la part des protagonistes. Ce soin apporté au rythme renvoie à ces mélodies de jazz qui parcourent les épisodes ; créant à cette occasion un parfum de mélancolie. Etonnant, et presque culotté, pour une série de ce calibre.
Tout le monde a ses raisons, mais le cœur les ignore. Homeland préfère s’intéresser à la relation qui se noue entre Carrie et Brodie, en basculant sans cesse d’un point de vue à l’autre afin de ne pas tomber dans un manichéisme vingtquatreheurien. On approche parfois le mélodrame, la romance, la tragédie même. Et au-dessus de la tête de chaque personnage plane l’auréole du doute, mi ange, mi démon. Jamais sûr de rien, sauf de la qualité évidente d’une série qui n’a pas fini de faire parler d’elle.